Deux ans après la fin de la crise postélectorale, Abobo continue de panser ses plaies. Malgré l’accalmie, le quartier garde encore les séquelles de dix ans de règne de la terreur, de la mort et de la désolation. Dans leur chair, plusieurs habitants de la commune martyre continuent de porter encore les cicatrices de cette barbarie sans précédent. Ces nombreuses victimes qui attendent réparation et que justice soit rendue se sentent flouées lorsqu’elles apprennent la libération de certaines personnes qu’elles considèrent comme étant leurs bourreaux. Une situation que les habitants d’Abobo peinent à comprendre.
ll est 13h. L’esplanade de la mairie d’Abobo grouille de monde, le tout, dans un brouhaha presqu’indescriptible. Après nous être faufilés entre plusieurs gbakas, nous finissons tant bien que mal à pénétrer dans les locaux de la mairie. A l’intérieur, nous sommes soudainement attirés par une silhouette féminine. Malgré l’embonpoint apparent que son physique présente à première vue, dame Kourouma Fanta, porte les séquelles d’un certain 3 mars 2011, date de l’assassinat des 7 femmes d’Abobo. « J’étais de la marche. Je suis partie bien portante. Je suis revenue vivante, mais je ne suis plus redevenue celle que j’étais. Dans la débandade, je suis tombée. Les gens m’ont piétinée », témoigne-t-elle. Avant de s’offusquer : « Nous les femmes d’Abobo ne sommes pas contentes de voir nos bourreaux être libres. J’avais mal au cœur quand je les voyais jubiler après leur libération. De qui se moque-t-on ». Pour elle, il est inacceptable que pendant que des milliers de victimes ne sont pas prises en compte, on libère leurs bourreaux. « Nous sommes meurtries, nous ne comprenons pas ces libérations. Nous sommes écœurées de voir ce qui se passe. Les gens ont-ils oublié tout ce que nous avons vécu ? Savent-ils que certains de nos camarades ont encore des balles dans le corps ? Qu’on ne nous pousse pas à bout », lâche-t-elle, amère.
Piétons, automobilistes et vendeurs ambulants, tout ce beau monde renferme de nombreuses victimes de la crise postélectorale, mais aussi des victimes des dix ans de dictature de Laurent Gbagbo. Le jeune Koné, gérant de cabine installé dans un petit coin à l’entrée de la mairie, est formel : « Ici à Abobo, tout le monde est victime. Il est vrai que chacun a vécu sa douleur à sa manière, mais tous nous avons été atteints soit physiquement soit moralement. Moi qui vous parle, j’ai perdu mon frère aîné », confesse-t-il après un long soupir.
Attention à la vengeance
A la question de savoir ce qu’il pense de la libération des pro-Gbagbo, notre interlocuteur devient presque menaçant. Ses yeux, comme ceux d’un fauve prêt à dévorer une proie, rougissent. « Ceux qui les libèrent n’ont pas demandé notre avis. Ils pensent plus à ceux qui nous ont tués qu’à nous qui ne savons où donner de la tête. Vous êtes à Abobo, faites un tour dans les cours vous verrez des personnes qui ne peuvent plus rien faire. Elles sont marquées à jamais. Et pendant qu’elles attendent un hypothétique dédommagement on leur sert la libération de leurs bourreaux. Ce sont des foutaises », martèle t-il, manifestement révolté de voir ceux qui les ont fait souffrir recouvrer la liberté.
Pour lui, la situation n’est pas faite pour faciliter les choses, surtout que les victimes ne savent plus à quoi s’en tenir. « Que les gens ne s’étonnent pas de voir demain des réactions violentes de la part des victimes », avertit Koné.
Assise dans son bureau, Sirah Dramé, présidente du Collectif des victimes des évènements de 2004, que nous approchons n’est pas du tout contente de la tournure que prennent les évènements. « Je ne suis pas d’accord. Si les gens continuent nous allons nous manifester », menace t-elle. Avant de poursuivre : « Il faut mettre fin à l’impunité. Il faut que les gens paient pour leurs crimes commis. Il ne peut pas y avoir de réconciliation sans justice préalable pour les victimes. C’est comme cela que les gens préparent les règlements de compte». Pour Sirah Dramé, si on parle de réconciliation, c’est bien parce qu’il y a eu un problème dans ce pays. On ne peut donc pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Car, soutient-elle, beaucoup de personnes continuent de souffrir dans leur chair. « Si on ne parle pas de dédommagement, les victimes risquent de se faire justice. D’ailleurs, je viens de tenir une réunion avec plusieurs victimes qui ne sont pas pour la libération de leurs bourreaux », assène cette femme. Au quartier SOS où nous mettons le cap, la colère se fait plus persistante. N’Guessan B, qui nous reçoit, est un homme très remonté. Malgré le temps, son mur garde encore les impacts de balles. « J’ai voulu qu’il en soit ainsi pour que les gens n’oublient pas ce que nous avons vécu ici à Abobo où les obus pleuvaient jour et nuit. Nous avons perdu beaucoup de parents et beaucoup de biens », confie t-il. Aujourd’hui, il ne cache pas sa colère face ce qui se passe en ce moment. « Nous, les victimes, sommes en passe de devenir des bourreaux. On nous nargue en libérant ceux qui nous ont tués hier. Qu’ils sachent que la vengeance est un plat qui se mange froid », prévient-il.
A Abobo, comme dans tout le pays d’ailleurs, les victimes de la crise postélectorale ne cachent pas leur déception et leur colère face à la vague de libération des prisonniers pro-Gbagbo. Ils espèrent que leurs crimes qu’ils ont subis ne resteront pas impunis…
Thiery Latt
ll est 13h. L’esplanade de la mairie d’Abobo grouille de monde, le tout, dans un brouhaha presqu’indescriptible. Après nous être faufilés entre plusieurs gbakas, nous finissons tant bien que mal à pénétrer dans les locaux de la mairie. A l’intérieur, nous sommes soudainement attirés par une silhouette féminine. Malgré l’embonpoint apparent que son physique présente à première vue, dame Kourouma Fanta, porte les séquelles d’un certain 3 mars 2011, date de l’assassinat des 7 femmes d’Abobo. « J’étais de la marche. Je suis partie bien portante. Je suis revenue vivante, mais je ne suis plus redevenue celle que j’étais. Dans la débandade, je suis tombée. Les gens m’ont piétinée », témoigne-t-elle. Avant de s’offusquer : « Nous les femmes d’Abobo ne sommes pas contentes de voir nos bourreaux être libres. J’avais mal au cœur quand je les voyais jubiler après leur libération. De qui se moque-t-on ». Pour elle, il est inacceptable que pendant que des milliers de victimes ne sont pas prises en compte, on libère leurs bourreaux. « Nous sommes meurtries, nous ne comprenons pas ces libérations. Nous sommes écœurées de voir ce qui se passe. Les gens ont-ils oublié tout ce que nous avons vécu ? Savent-ils que certains de nos camarades ont encore des balles dans le corps ? Qu’on ne nous pousse pas à bout », lâche-t-elle, amère.
Piétons, automobilistes et vendeurs ambulants, tout ce beau monde renferme de nombreuses victimes de la crise postélectorale, mais aussi des victimes des dix ans de dictature de Laurent Gbagbo. Le jeune Koné, gérant de cabine installé dans un petit coin à l’entrée de la mairie, est formel : « Ici à Abobo, tout le monde est victime. Il est vrai que chacun a vécu sa douleur à sa manière, mais tous nous avons été atteints soit physiquement soit moralement. Moi qui vous parle, j’ai perdu mon frère aîné », confesse-t-il après un long soupir.
Attention à la vengeance
A la question de savoir ce qu’il pense de la libération des pro-Gbagbo, notre interlocuteur devient presque menaçant. Ses yeux, comme ceux d’un fauve prêt à dévorer une proie, rougissent. « Ceux qui les libèrent n’ont pas demandé notre avis. Ils pensent plus à ceux qui nous ont tués qu’à nous qui ne savons où donner de la tête. Vous êtes à Abobo, faites un tour dans les cours vous verrez des personnes qui ne peuvent plus rien faire. Elles sont marquées à jamais. Et pendant qu’elles attendent un hypothétique dédommagement on leur sert la libération de leurs bourreaux. Ce sont des foutaises », martèle t-il, manifestement révolté de voir ceux qui les ont fait souffrir recouvrer la liberté.
Pour lui, la situation n’est pas faite pour faciliter les choses, surtout que les victimes ne savent plus à quoi s’en tenir. « Que les gens ne s’étonnent pas de voir demain des réactions violentes de la part des victimes », avertit Koné.
Assise dans son bureau, Sirah Dramé, présidente du Collectif des victimes des évènements de 2004, que nous approchons n’est pas du tout contente de la tournure que prennent les évènements. « Je ne suis pas d’accord. Si les gens continuent nous allons nous manifester », menace t-elle. Avant de poursuivre : « Il faut mettre fin à l’impunité. Il faut que les gens paient pour leurs crimes commis. Il ne peut pas y avoir de réconciliation sans justice préalable pour les victimes. C’est comme cela que les gens préparent les règlements de compte». Pour Sirah Dramé, si on parle de réconciliation, c’est bien parce qu’il y a eu un problème dans ce pays. On ne peut donc pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Car, soutient-elle, beaucoup de personnes continuent de souffrir dans leur chair. « Si on ne parle pas de dédommagement, les victimes risquent de se faire justice. D’ailleurs, je viens de tenir une réunion avec plusieurs victimes qui ne sont pas pour la libération de leurs bourreaux », assène cette femme. Au quartier SOS où nous mettons le cap, la colère se fait plus persistante. N’Guessan B, qui nous reçoit, est un homme très remonté. Malgré le temps, son mur garde encore les impacts de balles. « J’ai voulu qu’il en soit ainsi pour que les gens n’oublient pas ce que nous avons vécu ici à Abobo où les obus pleuvaient jour et nuit. Nous avons perdu beaucoup de parents et beaucoup de biens », confie t-il. Aujourd’hui, il ne cache pas sa colère face ce qui se passe en ce moment. « Nous, les victimes, sommes en passe de devenir des bourreaux. On nous nargue en libérant ceux qui nous ont tués hier. Qu’ils sachent que la vengeance est un plat qui se mange froid », prévient-il.
A Abobo, comme dans tout le pays d’ailleurs, les victimes de la crise postélectorale ne cachent pas leur déception et leur colère face à la vague de libération des prisonniers pro-Gbagbo. Ils espèrent que leurs crimes qu’ils ont subis ne resteront pas impunis…
Thiery Latt