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Société Publié le jeudi 2 octobre 2014 | Treichville Notre Cité

Témoignage : Tierno Sall raconte les grandes familles de Treichville

« Treichville est une zonation à la fois culturelle, ethnique, économique »
« Les témoignages d’un individu peuvent être assujettis à son appartenance sociale, sa formation et au milieu qu’il fréquente. Ils ne sont donc que des points de vue relatifs et ne sauraient être pris à la lettre comme étant une vérité première ». C’est en ces termes que le sexagénaire de 70 ans, Sall Bah Souley, plus connu à Treichville sous le nom de Tierno Sall, fils de l’Imam Tierno Souley Sall à l’avenue 6 rue11, lot187C, au carrefour situé entre les domiciles des deux rois (Roi de l’Indénié Nanan Bouah Kouassi et Roi des Abron), a donné le ton de la rencontre avec votre Mensuel , relative aux Grandes familles à Treichville. Une rencontre riche et exclusive dans le cadre de son 1er anniversaire.

D’après l’histoire, la plupart des membres de grandes familles qui ont fait la Côte-d’Ivoire moderne, sont partis de Treichville. Veuillez nous en parler ?

Le peuplement de la commune de Treichville doit être abordé en termes de quartiers, qui ont ensuite, fait émerger des hommes qui y ont vécu, les ont animés. Si vous prenez l’avenue1 et 2, c’était le quartier des intellectuels, des agents de l’administration. Un peu plus loin, à l’avenue 3 et 4, de la rue 5 à 12, c’est le quartier sénégalais. De l’avenue 9 à 12, de la rue 9 à 11, se trouve un quartier que certains appellent quartier Dongou et d’autres, quartier Haoussa. Puis, il y a les quartiers N’zima et Dioula au-delà de la rue 12, entre les avenues 4 et 8, de la rue 12 à 25. Parce que c’est aussi une des particularités de Treichville, on saute de la rue 25 à la rue 38. La zone des avenues 16 et 17, habitée en général par les Bété, les Krou. D’ailleurs, c’est là que vous trouvez le marché Wobè. Un peu plus loin à gauche, vous avez les cités Ran, douanes, polices. Et finalement, les quartiers modernes que sont les Habitats où toutes les origines, toutes les ethnies se rencontrent, se mêlent. Treichville, c’est donc cette zonation à la fois culturelle, ethnique, économique. Prenons l’avenue 1 et 2. Si vous commencez à parcourir l’avenue 1 rue 5, vous avez le domicile de Me Diop, un de nos premiers huissiers de justice. En remontant l’avenue 2 rue 6 et 7, c’est la famille Yapobi qui nous a donné à la fois avocats et magistrats, puis la famille Pama à côté. A l’époque, là où se trouve la maison du congrès, était le quartier de la Cfao où les agents subalternes des maisons de commerce, les agents africains étaient logés. Il y avait, aussi le domicile de la chefferie du Sanwi. Dans cette zone, était, dans un entre-carré très particulier, Ellingand Etché, pharmacien et ancien maire d’Aboisso, qui y habitait avec les enfants du conseiller du Roi du Sanwi. En remontant pour atteindre notre Mairie actuelle, juste à la rue 13, se trouvait la maison des Jacques Aka. Un peu plus haut, vers la rue 25, vous arrivez chez les Laubouet, Mme Yacé, Me Ouégnin, le 2ème grand homme de justice de la Côte d’Ivoire. Parler des grandes familles, c’est aussi parler du poids économique des uns et des autres. Ainsi, à l’avenue 4 rue 7, c’est chez les Gabriel Dadié, qui occupaient une superficie d’environ 1600 m carré divisée en deux portions : l’une, pour le cinéma ABC, a été aussi un haut lieu de débats et de réunions politiques, et l’autre, habitée par la famille Dadié. Entre l’avenue 3 et 4, à la rue 8, vous avez le domicile de Jean Porquet. C’était un mulâtre, un métis, qui après avoir servi l’administration coloniale, l’a quittée pour s’installer à son propre compte. Il est un grand oublié à la fois de notre histoire passée et récente. Il comptait parmi les grosses fortunes ivoiriennes avant l’indépendance. Les premières brasseries, les mines de graviers à Bingerville, l’attribution d’un siège au Pdci naissant, c’est lui. Pour ceux qui ont vu les photos des années 50, 55, on voit Houphouët au balcon d’un immeuble (celui de Porquet) d’où il haranguait les militants. Pour les militants du Pdci, cet immeuble est riche en souvenirs. C’est aussi là qu’était leur école de parti. Porquet compte donc parmi les personnes et les personnalités. Après les avenues 3 et 4, vous avez le domicile d’Antonin Dioulo. Il a été nommé par l’administration coloniale chef supérieur des Attié-Ebrié. L’arrêté créant le 1er conseil urbain d’Abidjan en 1939, c’est celui de Treichville. Quatre personnes ont été nommées comme membres. La 1ère était Antonin Dioulo, au titre de la chefferie traditionnelle (Attié et Ebrié), la 2ème, Jean de Lafosse, au titre des originaires et fonctionnaires de Côte d’Ivoire, la 3ème, Petersen, au titre des Dahoméens et la 4ème, l’Imam Tierno Souley Sall pour la communauté sénégalaise. Il y avait les familles M’Bahia Blé Kouadio, Adou Assalé, Zirimba Aka Marcel. Les Zinsou (Jean Vincent et Simplice) étaient à l’avenue 5 rue 11 où se trouvent aujourd’hui des boutiques. Simplice (Zinsou) était notre aîné, il nous accompagnait à l’Ecole Régionale. Il y a eu beaucoup de familles à Treichville, on ne peut toutes les citer. Vous voyez donc que tous ces hommes là avaient leurs domiciles à Treichville.

Comment se sont constituées ces familles ? Est-ce du jour au lendemain ?

La présence des ethnies et origines résultent, d’une part, d’un déménagement volontaire. Le site appelé Cocody autrefois, c’est la zone du stade Houphouët-Boigny, de l’ambassade du consulat de France, l’hôtel Tiama, l’Assemblée nationale, le Palais de justice, l’actuelle Cathédrale. C’est là qu’étaient installés les Africains, les «Indigènes ». A la veille de la 1ère guerre mondiale, la communauté européenne qui avait senti, peut-être, le besoin d’être un peu plus en sécurité, a offert à cette communauté la possibilité de s’installer sur deux quartiers aménagés : le village indigène de Treichville et Adjamé, le long de l’Institut national de santé publique. On notait parmi tous, ceux qui étaient venus pour construire le chemin de fer, ceux que les maisons de commerce avaient fait venir, ceux qui étaient venus chercher fortune, puisque c’était un pays neuf, un peu comme les Etats-Unis, l’eldorado. Mais il y avait un inconvénient pour le village indigène de Treichville qui était séparé de la zone administrative, du quartier blanc par la lagune. Il fallait donc emprunter le bac pour franchir la lagune. Malgré ce handicap, des Africains ont accepté d’aménager à Treichville. Surtout, la majorité des ouvriers du chemin de fer a accepté d’aménager le long de la bande qui part du camp Gallieni jusqu’au pont d’Agban. Les hommes sont venus, d’autre part, dans l’espoir d’habiter un beau quartier. C’est pour cela qu’on a parlé de village indigène, c’est pour cela qu’il y a eu des chefs de quartiers dès l’origine : des chefs de quartier Dioula, N’zima, sénégalais, et puis des chefs d’ethnie…

Quel est l’impact des installations de ces grandes familles à Treichville aujourd’hui ?

Le temps a fait son œuvre. On doit à ces grandes familles d’avoir réussi à vivre en paix, d’avoir établi la paix entre des hommes de cultures, de religions différentes. Je me rappelle bien que l’enfant que j’étais, donnait sa part de riz gras préparé à l’occasion de la Tabaski à la famille Dioulo, qui de la même manière me donnait de l’attiéké pour ma famille. C’était donc une communauté de partage. Les problèmes ethniques ne se posaient pas. Les gens se côtoyaient en ayant des liens de rencontre, de convivialité. Les premières mises en valeurs foncières ont été réalisées par ces grandes familles. C’est elles qui ont construit les premiers immeubles. Elles ont eu les premières maisons en dur, ce n’étaient pas des baraques.
L’apport démographique y était aussi pour quelque chose ?
Oui. Dès que ces chefs de communautés ont eu un pouvoir attractif, des jeunes de ces communautés sont venus pour chercher du travail. Des communautés dont on ne voit pas trop bien aujourd’hui les traces, mais qui ont été présentes dans nos commerces, qui ont dirigé en tant que responsables : les Sierra Léonais, les Nigérians, les Ghanéens, les Togolais qui maitrisaient la comptabilité anglaise, ces grandes maisons de commerce Unilever, Niger-France… Toutes ces personnes sont venues avec leurs familles, et ont été suivies par leurs frères et sœurs selon la bonne tradition africaine. Vous vous installez, vous êtes chef de tribu avec le temps.

Quel a été l’élément fédérateur de tous ces peuples venus de diverses origines?

L’élément fédérateur c’est la culture française. C’est la colonisation qui a créé ce melting-pot. Des hommes qui avaient conscience de vivre sous une autorité, qui leur demandait, et partout, professait la quête de la prospérité dans le cadre de la paix française.

Que sont devenues aujourd’hui ces grandes familles à Treichville?

Elles sont encore présentes. Certaines sont parties, d’autres sont restées. Il ne faut pas opérer, éliminer, le grand choc créé par la Loi cadre de1958. Elle a donné plus de moyens à une élite. C’est là qu’on a vu des fonctionnaires, ceux qui ont pu avoir leurs propres voitures (de fonction, personnelles). Le désir de vivre beaucoup plus à l’Occidentale s’est accentué. Des familles de cadres ont commencé à émigrer vers les premiers appartements qui étaient vendus vers les 220 logements, puis l’Etat s’est progressivement approprié les plantations de Blohorn qui essaimaient Cocody. Et les attributions ont commencé à se faire vers Danga. L’élite, ceux qui étaient dans les cabinets ministériels, dans les nouvelles grandes Directions ont voulu d’une vie plus aérée, ont voulu sortir du cadre des grandes familles. Et on les a vus partir peu à peu en laissant derrière eux le gros des familles. Ils ne pouvaient pas ainsi partir brutalement, mais venir épisodiquement rendre visite. Puis ils se disent, désormais, je suis à Cocody, aux 220 logements…je suis chez moi. En somme, la rupture s’est faite à partir de 1958.
L’élite s’est-elle reconnue dans son ancienne communauté ?

L’élite a été oublieuse de son histoire. L’élite n’a pas dit d’où elle sortait. Elle n’a pas dit qu’elle a vécu dans des cours communes, qu’elle a mangé un plat, quelquefois, par jour, qu’elle a vécu de façon ordinaire comme tout le monde. Je vais vous raconter une anecdote. J’ai rencontré un Préfet que j’avais connu très jeune, qui était le chauffeur de Jean Porquet et qui habitait chez Mory Kéïta (voisin de Jean Porquet). Quand j’ai dit à ce Monsieur : « il me semble vous connaître, n’habitiez-vous pas chez Mory Kéïta ?», il s’est complètement fermé comme une hutte et son visage a changé. J’ai compris que cette partie de son passé n’était pas comme il l’aurait voulue. Il avait trop de pouvoir, il avait une autorité, occupait une fonction très prestigieuse aujourd’hui. Or, il n’était pas malheureux à l’époque. Il gagnait bien sa vie mais, n’appartenait pas à l’élite. Il n’était pas sorti de Ponty, des grandes écoles françaises, parce qu’il n’avait pas la nationalité française... Mais, il a eu le mérite d’étudier, de travailler, de progresser et de se retrouver Préfet.

Quel héritage, selon vous, votre génération devrait-elle laisser pour permettre à celles qui suivent d’être imprégnées de l’histoire de Treichville ?

Accepter de changer, d’expliquer, de (se) rencontrer, de revenir à Treichville, parce que nous y sommes chez nous. Dans le quartier, à la Riviera III où j’habite, je ne dis pas que c’est chez moi. Pratiquement, tous les matins je viens à Treichville rencontrer des personnes ordinaires, tailleurs, mécaniciens, des ainés de grandes familles que j’ai connus et je suis accueilli à bras ouverts. J’ai des rapports humains avec les gens. Et ça, je ne le retrouve pas de l’autre côté. Et on me demande : « pourquoi j’y vais », et je leur dis : « c’est là qu’on prendra soin de ma dépouille. Eux, me connaissent vraiment. Vous, vous ne connaissez que le Directeur, l’administrateur, votre collègue »… Ceux qui acceptent qu’ils sont venus de Treichville, qu’ils sont partis de rien et ont fondé de grosses fortunes, ceux qui se renient, tous sont marqués par Treichville. Que vous alliez à Paris, Berlin… et que vous vous arrêtez en face d’un hôtel, vous trouverez toujours quelqu’un qui vous dira « on dirait que je vous ai connu à Treichville, à l’avenue 21, au « gorille » (boîte de nuit célèbre des années 63)…
Tierno Sall digest :
Professeur de Lycée
Proviseur des Lycées classiques et de Katiola
Secrétaire Général de l’Ena
Conseiller technique de la fonction publique
Directeur des Examens et concours professionnels et techniques
Directeur des Administrations et ressources
Réalisé par KSK
Albert ABALE
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