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Sport Publié le mardi 13 octobre 2015 | Diasporas-News

À cœur ouvert avec Mme Halima Traoré (ex-internationale de handball): « C’est grâce à Houphouët-Boigny que je vis… » / « Je veux qu’on se souvienne de moi »

Sa vie a failli s’arrêter brutalement à 24 ans. Et depuis 1987 qu’elle a été victime d’un accident de la circulation à Abidjan, la vie de Traoré Halima, 52 ans, a pris une autre et nouvelle trajectoire. Mais la sportive de haut niveau qu’elle a été n’a cessé d’affronter sa nouvelle vie qu’elle essaie, plus ou moins, d’apprivoiser. Et de se s’y accommoder. Avec courage et abnégation.

Diasporas -News : Comment allez-vous et à quoi se résume votre journée ?

H.T: Dieu merci, ça va à peu près bien. Ma journée est simple. Au réveil, je prends mon petit déjeuner et je vais au travail. A la descente le soir, je vais chercher ma fille de 10 ans l’école.

D-N : A quoi consiste le travail que vous faites à l’Ambassade de la Côte d’Ivoire à Paris (France) ?

H.T: Je suis la première secrétaire chargée des affaires consulaires, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’état civil, les actes notariés et juridiques.

D-N : Vous ne faites pas ce travail sans difficulté on suppose…

H.T: (Rires…) Les difficultés existent toujours quel que soit le domaine d’activité où on est. A plus forte raison un travail où je suis en contact permanent avec le monde qui vient de divers horizons. Mais on fait avec. Au niveau professionnel à proprement parler, il faut suivre les dossiers pour qu’Abidjan puisse répondre en temps et en heure. En gros, ça va, Dieu merci.

D-N : Avant tout ça, il y a l’énorme chance de votre vie avec le premier président de la République de Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, suite à un accident de la circulation qui vous a valu l’amputation de vos deux jambes en 1987. Il voulait même s’occuper de vous le restant de votre vie. Peut-on en savoir davantage…

H.T: Effectivement après mon accident, mon père voulait m’évacuer aux Etats Unis. J’étais à la Pisam. J’étais voisine de chambre avec une sœur d’Houphouët-Boigny. Elle voulait qu’on me déplace parce que je criais trop. Et il a dit à sa sœur c’est parce qu’elle a beaucoup mal. Alors qu’il était passé voir sa sœur un jour, ma grande sœur a interpellé le chef de l’Etat. Elle lui a dit « Monsieur le président, vous ne voyez pas que ma sœur souffre ? Pourquoi vous ne faites rien? ». Il a regardé ma sœur et est parti sans rien dire. 48 heures après, le président Houphouët m’a fait évacuer à l’hôpital Pellegrin Tondu de Bordeaux. C’est là-bas que j’ai été amputée des deux jambes. La gauche, deux fois, la droite une fois. Je suis restée au centre de rééducation jusqu’en 1992.

D-N : A quel moment Houphouët-Boigny vous a-t-il fait la promesse de vous prendre en charge le restant de votre vie ?

H.T: Une fois à Bordeaux, le président Houphouët appelait chaque fois pour prendre mes nouvelles, et quand un de ses ministres venait en mission en France, ce dernier passait me voir en son nom à Bordeaux. Un jour, lui-même est venu me rendre visite et mon médecin traitant lui a dit que je n’étais pas bien moralement. Et quand il m’a demandé ce qui n’allait pas et ce que je voulais, je lui ai répondu que je voulais travailler après ma guérison parce que je ne pourrais plus jouer au handball. Je ne voulais, pas non, plus être une charge pour ma famille et mes connaissances. Il m’a répondu : « Non, je vais te payer jusqu’à la fin de ta vie. Je lui ai répondu ceci : « Monsieur le président, et si vous mourrez avant moi ? ». Il a dit : « Aaahhh !! Ça c’est une autre histoire… » Après, il a fait ses recherches pour que je sois affectée ici en France sur une décision. Avant mon accident, j’enseignais l’EPS au Lycée technique de Port-Bouet. De l’EPS à la diplomatie, il y a un faussé, mais Dieu merci, j’ai été très bien accueillie et bien formée surtout, j’ai bien appris aussi.

D-N : Le décès d’Houphouët, en 1993, a dû vous secouer davantage…

H.T: Ça été un choc terrible. C’est le jour où je devais voir Houphouët qu’on m’a informée qu’on l’a évacué en Europe. J’ai encore cette boule en moi, parce que je n’ai pas pu le voir pour lui dire merci de vive voix.

D-N : Les autres présidents qui ont précédé Houphouët ont-ils suivi son œuvre vous concernant ?

H.T: Oui, je l’avoue. Ils ont tous suivi ce qu’a mis en place le vieux, y compris l’actuel président, Alassane Ouattara, qui a même signé mon décret en 1992, quand il était Premier ministre, pour que je rentre à l’Ambassade de Côte d’Ivoire en France. Je voudrais leur dire merci par le biais de votre journal.

D-N : Êtes-vous restée en contact avec la famille d’Houphouët ?

H.T: Pas vraiment, mais j’ai eu le privilège de rencontrer et aider une de ses filles qui vit en France ici. Je lui ai fait son passeport sans problème. Elle m’a vivement remerciée. Je lui ai dit que le merci lui revenait parce que c’est grâce à son père que je suis en vie et que je travaille. Quand je lui ai expliqué pourquoi et comment, elle a commencé à pleurer.

D-N : Avez-vous des regrets après l’accident qui vous handicape à vie ?

H.T: Oui, j’avoue que j’ai des regrets, parfois j’en veux à mon handicape parce que j’aurais dû être autre chose, faire autre chose. J’ai aussi des regrets parce que je vis loin de ma mère, la seule qui me reste.

D-N : Mais vous pouvez la faire venir non….

H.T: Non, elle n’acceptera pas, elle est vieille, elle a déjà plus 80 ans, donc vous comprenez que...

D-N : A vous entendre, on a envie de vous demander ce qui vous donne la force de vivre ?

H.T: Lala-Lamine, ma fillette de 10 ans, et mon travail. Mon boulot qui est pour moi une sorte de thérapie. J’oublie tout quand je suis plongée dans le travail. Car j’aime le contact avec les Ivoiriens, ça me fait revivre mes moments de handball.

D-N : Vous avez joué à l’époque avec la ministre actuelle de l’Education nationale, Kandia Camara, dans l’équipe Air Afrique de Bouaké et en équipe nationale. Etait-elle une bonne joueuse ?

H.T: (Rires…) Ouiii, Kandia était une très bonne handballeuse. On a vécu de bons moments en club comme en sélection. J’ai participé à pas mal de compétitions. J’ai gagné la Can junior au Nigéria(1980), au Bénin(82), le tournoi de Teramo en Italie, j’ai été championne universitaire à Yamoussoukro(81), championne d’Afrique senior au Caire(83), championne d’Afrique des clubs avec Bassam, je ne peux pas tout…

D-N : Bénéficiez-vous de l’aide que la Côte d’Ivoire octroie aux anciens sportifs ?

H.T: Je n’en bénéficie pas. J’ai essayé d’approcher le ministère à l’époque, par le biais de l’artiste chanteuse Reine Pélagie, mais ça n’a pas abouti. C’est difficile pour nous qui avons été de grands champions de ne plus être reconnus par et dans notre pays. Ceux qui se succèdent à la tête du ministère des sports sont ingrats. Ils ne se rappellent de vous que s’ils ont un besoin. H.T: C’est dommage. Depuis 1987 que je suis dans cette situation, il est difficile que j’aille toujours devant les gens pour leur demander ceci ou cela. On pense que je plaisante. Avec les échanges que j’ai eus avec les gens, je suis fatiguée, lasse. Souvent, j’ai envie de tout lâcher parce que je ne sais plus après quoi je cours. J’ai une invalidité évaluée à plus de quatre vingt pour cent (80%), mais avec le grade que j’ai, Houphouët peut être fier de moi.

D-N : Vous arrive-t-il de dire, c’est bon, je lâche tout, j’arrête ?

H.T: Si, il n’y a pas longtemps, je voulais tout arrêter, c’est ma fillette qui m’a donné des conseils. A son âge, elle m’a dit des choses qui m’ont fait réfléchir. C’est comme ça que j’ai repris. Malgré cela, je suis restée trois jours à la maison. Souvent, ce sont les matins que j’ai des difficultés.

D-N : Avez-vous gardé le contact avec les dirigeants du handball ivoirien ?

H.T: Non, pas vraiment. Je parle juste avec Fadiga Nadège et Désirée Kramoh par moments.

D-N : Aux derniers jeux de la Francophonie au Congo Brazzaville, la Côte d’Ivoire n’a rien gagné. Les filles ont fini 6èmes, et les hommes 5èmes…

H.T: Ils ne pouvaient rien faire de bon, parce qu’ils s’entraînent dans des conditions dramatiques. S’entraîner sur du goudron à l’heure actuelle, c’est impensable. Et quand on sait que la relève n’est pas assurée…IL faut qu’on arrête le copinage et sélectionner ceux qui méritent de porter le maillot national. Et puis, qu’il faut reprendre les compétitions pour voir dans quelle mesure de bons athlètes peuvent en sortir pour reconstituer un bon noyau capable d’être l’avenir de demain.

D-N : Quels sont vos projets pour l’avenir ?

H.T: J’ai beaucoup de projets, je me donne encore quelques années pour leur mise en œuvre. Je pense qu’il est temps de rentrer chez moi. Il faut que je commence à asseoir quelque chose pour l’avenir de ma fille, c’est important. Je dois maintenant penser à moi. Mais souvent, je me dis qu’il est tard et que j’aurais dû commencer plus tôt. J’ai pris conscience de beaucoup de choses. Je ne demande qu’à aider mon prochain, mon concitoyen, je me demande si je peux arrêter un jour. Après mon accident, il y a eu une renaissance. Je pense avoir atteint un niveau où je peux me projeter sur autre chose. Le domaine de l’orphelinat par exemple m’intéresse, il y a du travail dans ce secteur. Je veux qu’on se souvienne de moi, ça me fait plaisir et ça me donne la force de vivre.

D-N : La Côte d’Ivoire ne vous a pas vraiment oubliée parce que vous été décorée dans l’ordre du mérite sportif et en 2011 comme officier du mérite sportif…

H.T: Oui, la première fois, c’était en 1980 par le président Houphouët où j’ai été décorée dans l’ordre du mérite sportif et la seconde par l’ancien ministre, Philippe Légré, qui m’a décorée dans l’ordre d’officier du mérite sportif en 2011. Je voudrais les remercier.

Réalisée par Ould Hamet N’diaye

Encadré…

D-N : Une vie et des épreuves…
C’est l’histoire d’une vie. Une vie qui a failli brutalement et brusquement s’arrêter un jour de 1987. Mais le destin d’Halima Traoré en a décidé autrement. En dépit d’un terrible accident de la circulation qui a failli lui couter la vie mais dont elle est sortie avec les deux jambes amputées, cette ancienne championne d’Afrique de handball tient bon. Malgré cela, sa vie n’est pas un fleuve tranquille. Elle a vécu des épreuves et des épreuves. Après le tragique accident, elle perd successivement son père, en 1992, alors qu’elle se trouve encore sur le lit d’hôpital. Comme si cela ne suffisait pas, son compagnon passe de vie à trépas en 2006. Son grand frère qui était pour elle comme un ami la lâche. Fauché par la mort lui aussi. Diminuée physiquement, Traoré Halima aurait voulu s’appuyer sur ces personnes qui comptaient pour elle. Mais hélas ! Mille fois hélas…Malgré ces épreuves de la vie, aussi difficiles les unes que les autres, la championne s’accroche. Elle vit la vie pas comme elle l’aurait souhaité, mais elle fait avec comme elle le dit.

O.H.N
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