Le Directeur Général de l’Office National de la Population, Hinin Moustapha a eu récemment des échanges avec la presse sur les efforts du gouvernement concernant les questions de population. Selon les analyses basées sur les nouvelles méthodes de l’économie générationnelle, une forte proportion de la population est sortie de la pauvreté depuis 2012.
Entretien.
Lors de la conférence de presse du Premier Ministre du 17 septembre 2018, il a évoqué qu’en face de la forte croissance économique, il y’ a une forte demande sociale à considérer. Quel est votre éclairage sur cette demande sociale en votre qualité de Directeur Général de l’Office National de la Population?
Nous partageons largement ce point de vue de Monsieur le Premier Ministre sur cette question qui doit être prise en compte dans les analyses sur les retombées de la croissance économique. La Côte d’Ivoire ambitionne de devenir une économie émergente à l’horizon 2020. Pour ce faire, le Gouvernement a mis en œuvre un ensemble de politiques sociales et économiques qui ont permis de maintenir depuis 2012, une croissance économique relativement exceptionnelle (plus de 9% en moyenne annuelle sur la période). Les nombreux efforts entrepris par le Gouvernement se sont traduits par des programmes visant à améliorer les conditions de vie des populations. Ces programmes ont impacté les différents secteurs sociaux, notamment la santé, l’éducation, la formation, l’eau potable, le logement, l’assainissement et la protection sociale, etc.
Cependant, en dépit des bonnes performances de notre économie, la Côte d’Ivoire voit ses énormes efforts de développement plombés par la forte pression démographique et le poids considérable des personnes dépendantes. Je voudrais rappeler que depuis son accession à l’indépendance, la Côte d’Ivoire affiche une croissance non maîtrisée de sa population avec notamment une multiplication par plus de six (6) de l’effectif de la population totale entre 1960 et 2017 avec la population d’Abidjan qui a été également multipliée par 24. A ce jour, la structure de la population est prédominée par les jeunes (près de 4 individus sur 5 ont moins de 35 ans), ce qui donne une forte proportion de personnes dépendantes. Il en résulte des charges sociales élevées, donc de faibles possibilités d’épargne et d’investissements productifs tant pour les ménages que pour l’Etat.
Lorsqu’on analyse la structure de la population ivoirienne en utilisant la méthode des Comptes de Transfert Nationaux (NTA), le surplus généré par la population qui travaille (les individus de 29 à 63 ans) s’élève à 2367,2 Milliards de CFA, soit 14% du PIB. Ce surplus est transféré aux dépendants, à savoir les enfants, les jeunes inactifs et les personnes âgées. Les analyses conjointes des experts de l’ONP et de l’INS indiquent que les jeunes de moins de 29 ans, du fait de leur importance numérique (67,4% de la population totale en 2014) et de leurs besoins, notamment en santé et en éducation, consomment une part très importante des revenus produits par les travailleurs effectifs.
Bien évidemment, cette situation induit une forte demande sociale, qui est évaluée selon nos estimations à 6200,2 milliards de francs CFA, soit 36,6% du PIB. Cette demande sociale est deux fois supérieure au revenu du travail de la population dans son ensemble. En moyenne, la consommation des ivoiriens dépasse le revenu du travail pendant deux périodes de vie : 0-28 ans et 64 ans et plus. Pour traiter donc cette demande sociale, nos estimations nous indiquent qu’il faut transférer en moyenne 32 995 FCFA par mois pour financer le déficit d’un jeune de moins de 28 ans et 29 230 FCFA par mois en moyenne pour financer celui des personnes âgées. A court terme, il nous faut créer 1,6 millions d’emplois pour résorber la forte dépendance des jeunes.
Quelle analyse faites-vous de la situation de la pauvreté en Côte d’Ivoire qui a été également évoquée par le Premier Ministre ?
Sur la base des données d’enquête sur le niveau de vie des ménages réalisées en 2008 et celles de 2015, nous avons effectué des analyses complémentaires plus approfondies. Ces analyses ont été effectuées par une équipe conjointe d’experts de l’ONP et de l’INS sous l’angle de la transition dans la pauvreté. Les résultats des travaux de cette équipe ont révélé que du fait de la forte croissance économique enregistrée ces dernières années, plus de 25% de la population sont sortis de la pauvreté entre 2012 et 2015 avec une proportion de 28% de population résiliente. Autrement dit cette population résiliente représente la proportion de la population qui est restée non pauvre sur la période. On enregistre des scores encore plus intéressants de population sortie de la pauvreté dans certains districts du pays, notamment le Sassandra-Marahoué avec 44,4%, les Montagnes 36,7%, les Lacs 34,5%, les Lagunes 33,1%, le Bas Sassandra 32,9%, la Comoé 31,6%, le Goh-Djiboua 31,3%, le Zanzan 30,5%, le Denguélé 30,2% et le Woroba 28,9%. La situation d’Abidjan est spécifique. Elle concentre le quart de la population totale du pays et elle a une forte population résiliente de plus de 60%. Tout cela démontre que le Gouvernement a fait et continue de faire beaucoup d’efforts pour rendre la croissance plus solidaire et inclusive. Nous attendons les enquêtes en cours de réalisation aux niveaux sous régional et national sur les conditions de vie des ménages pour actualiser nos données et mesurer les progrès réalisés à partir de 2015. Avec tous les programmes sociaux qui sont mis en œuvre par le Gouvernement, nous sommes certains que les résultats seront encore meilleurs.
Que préconisez-vous pour faire face aux défis?
Le principal défi actuel à relever et pour les prochaines décennies, c’est bien évidemment le défi démographique. En d’autres termes, c’est le défi lié à la baisse de la demande sociale. En effet, avec une croissance économique moyenne de 9,3% par an entre 2012 et 2015, et anticipée d’environ 7,5% entre 2016 et 2020[1], la Côte d’Ivoire est en mesure de réussir son pari de maintenir d’ici 2020 une croissance forte et robuste, caractéristique des pays émergents. Mais, parmi les transformations économiques et sociales qui ont amené après quelques décennies, certains pays émergents à des revenus par tête et des indicateurs sociaux proches de ceux des pays dits « à revenus élevés », la baisse rapide de la fécondité d’environ 6 à 2 enfants par femme, voire moins, a joué un rôle important. La comparaison des évolutions depuis 1960 des revenus par habitant et des niveaux de fécondité de la Corée du Sud, de la Malaisie, de la Colombie et de la Côte d’Ivoire indique que notre pays a maintenu un niveau élevé de fécondité (en moyenne 5 enfants par femme).
Nous allons nous attarder sur trois secteurs notamment la santé, l’éducation et l’emploi. En effet, si l’on fait l’hypothèse d’une certaine accélération de l’utilisation de la contraception jusqu’à 37% en 2030 et une stabilisation du nombre de naissances, la Côte d’Ivoire pourrait réaliser un gain de 65 milliards de FCFA sur les dépenses totales de santé (publiques et privées) pour les grossesses et la petite enfance. Ces gains passeraient à 155 milliards de FCFA en 2050.
De même, concernant l’éducation au niveau primaire, sur la base de l’hypothèse susmentionnée, on aurait, en 2035, des effectifs d’enfants à scolariser de 6-12 ans d’environ 20% inférieur à une situation de non maitrise des naissances. Cette proportion serait de 48% en 2050. Ce qui devrait laisser aussi au fil du temps des marges budgétaires de plus en plus importantes pour l’amélioration de la qualité de l’éducation primaire nécessaire pour de meilleurs résultats au secondaire et au supérieur. Ces marges budgétaires pourraient également être affectées à l’augmentation des capacités d’accueil au secondaire et au supérieur.
En matière d’emploi, les mêmes estimations donnent un nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail en Côte d’Ivoire d’environ 300 000 personnes à partir de 2017. Ils seront environ 500 000 en 2035, et ce n’est qu’à partir de cette date que le nombre d’arrivées sur le marché du travail pourrait se stabiliser si parallèlement le nombre de naissances entre 2018 et 2035 est maitrisé. Ce nombre de nouveaux arrivants pourrait alors rester stable autour de 500 000 jusqu’en de 2050, ce qui induit pour ce secteur, des défis budgétaires importants et une forte pression sociale.
Le cumul des marges budgétaires ainsi réalisées en matière d’éducation, de santé et de créations d’emplois chaque année pourrait donc être réinvesti pour l’amélioration de la qualité du capital humain. On peut donc dire qu’une bonne maitrise de la croissance démographique devrait permettre au pays d’avoir une croissance régulière du revenu par habitant pour atteindre la somme de 12 340 dollars. Ce qui classerait la Côte d’Ivoire à un horizon proche parmi les pays à revenu élevé.
Entretien.
Lors de la conférence de presse du Premier Ministre du 17 septembre 2018, il a évoqué qu’en face de la forte croissance économique, il y’ a une forte demande sociale à considérer. Quel est votre éclairage sur cette demande sociale en votre qualité de Directeur Général de l’Office National de la Population?
Nous partageons largement ce point de vue de Monsieur le Premier Ministre sur cette question qui doit être prise en compte dans les analyses sur les retombées de la croissance économique. La Côte d’Ivoire ambitionne de devenir une économie émergente à l’horizon 2020. Pour ce faire, le Gouvernement a mis en œuvre un ensemble de politiques sociales et économiques qui ont permis de maintenir depuis 2012, une croissance économique relativement exceptionnelle (plus de 9% en moyenne annuelle sur la période). Les nombreux efforts entrepris par le Gouvernement se sont traduits par des programmes visant à améliorer les conditions de vie des populations. Ces programmes ont impacté les différents secteurs sociaux, notamment la santé, l’éducation, la formation, l’eau potable, le logement, l’assainissement et la protection sociale, etc.
Cependant, en dépit des bonnes performances de notre économie, la Côte d’Ivoire voit ses énormes efforts de développement plombés par la forte pression démographique et le poids considérable des personnes dépendantes. Je voudrais rappeler que depuis son accession à l’indépendance, la Côte d’Ivoire affiche une croissance non maîtrisée de sa population avec notamment une multiplication par plus de six (6) de l’effectif de la population totale entre 1960 et 2017 avec la population d’Abidjan qui a été également multipliée par 24. A ce jour, la structure de la population est prédominée par les jeunes (près de 4 individus sur 5 ont moins de 35 ans), ce qui donne une forte proportion de personnes dépendantes. Il en résulte des charges sociales élevées, donc de faibles possibilités d’épargne et d’investissements productifs tant pour les ménages que pour l’Etat.
Lorsqu’on analyse la structure de la population ivoirienne en utilisant la méthode des Comptes de Transfert Nationaux (NTA), le surplus généré par la population qui travaille (les individus de 29 à 63 ans) s’élève à 2367,2 Milliards de CFA, soit 14% du PIB. Ce surplus est transféré aux dépendants, à savoir les enfants, les jeunes inactifs et les personnes âgées. Les analyses conjointes des experts de l’ONP et de l’INS indiquent que les jeunes de moins de 29 ans, du fait de leur importance numérique (67,4% de la population totale en 2014) et de leurs besoins, notamment en santé et en éducation, consomment une part très importante des revenus produits par les travailleurs effectifs.
Bien évidemment, cette situation induit une forte demande sociale, qui est évaluée selon nos estimations à 6200,2 milliards de francs CFA, soit 36,6% du PIB. Cette demande sociale est deux fois supérieure au revenu du travail de la population dans son ensemble. En moyenne, la consommation des ivoiriens dépasse le revenu du travail pendant deux périodes de vie : 0-28 ans et 64 ans et plus. Pour traiter donc cette demande sociale, nos estimations nous indiquent qu’il faut transférer en moyenne 32 995 FCFA par mois pour financer le déficit d’un jeune de moins de 28 ans et 29 230 FCFA par mois en moyenne pour financer celui des personnes âgées. A court terme, il nous faut créer 1,6 millions d’emplois pour résorber la forte dépendance des jeunes.
Quelle analyse faites-vous de la situation de la pauvreté en Côte d’Ivoire qui a été également évoquée par le Premier Ministre ?
Sur la base des données d’enquête sur le niveau de vie des ménages réalisées en 2008 et celles de 2015, nous avons effectué des analyses complémentaires plus approfondies. Ces analyses ont été effectuées par une équipe conjointe d’experts de l’ONP et de l’INS sous l’angle de la transition dans la pauvreté. Les résultats des travaux de cette équipe ont révélé que du fait de la forte croissance économique enregistrée ces dernières années, plus de 25% de la population sont sortis de la pauvreté entre 2012 et 2015 avec une proportion de 28% de population résiliente. Autrement dit cette population résiliente représente la proportion de la population qui est restée non pauvre sur la période. On enregistre des scores encore plus intéressants de population sortie de la pauvreté dans certains districts du pays, notamment le Sassandra-Marahoué avec 44,4%, les Montagnes 36,7%, les Lacs 34,5%, les Lagunes 33,1%, le Bas Sassandra 32,9%, la Comoé 31,6%, le Goh-Djiboua 31,3%, le Zanzan 30,5%, le Denguélé 30,2% et le Woroba 28,9%. La situation d’Abidjan est spécifique. Elle concentre le quart de la population totale du pays et elle a une forte population résiliente de plus de 60%. Tout cela démontre que le Gouvernement a fait et continue de faire beaucoup d’efforts pour rendre la croissance plus solidaire et inclusive. Nous attendons les enquêtes en cours de réalisation aux niveaux sous régional et national sur les conditions de vie des ménages pour actualiser nos données et mesurer les progrès réalisés à partir de 2015. Avec tous les programmes sociaux qui sont mis en œuvre par le Gouvernement, nous sommes certains que les résultats seront encore meilleurs.
Que préconisez-vous pour faire face aux défis?
Le principal défi actuel à relever et pour les prochaines décennies, c’est bien évidemment le défi démographique. En d’autres termes, c’est le défi lié à la baisse de la demande sociale. En effet, avec une croissance économique moyenne de 9,3% par an entre 2012 et 2015, et anticipée d’environ 7,5% entre 2016 et 2020[1], la Côte d’Ivoire est en mesure de réussir son pari de maintenir d’ici 2020 une croissance forte et robuste, caractéristique des pays émergents. Mais, parmi les transformations économiques et sociales qui ont amené après quelques décennies, certains pays émergents à des revenus par tête et des indicateurs sociaux proches de ceux des pays dits « à revenus élevés », la baisse rapide de la fécondité d’environ 6 à 2 enfants par femme, voire moins, a joué un rôle important. La comparaison des évolutions depuis 1960 des revenus par habitant et des niveaux de fécondité de la Corée du Sud, de la Malaisie, de la Colombie et de la Côte d’Ivoire indique que notre pays a maintenu un niveau élevé de fécondité (en moyenne 5 enfants par femme).
Nous allons nous attarder sur trois secteurs notamment la santé, l’éducation et l’emploi. En effet, si l’on fait l’hypothèse d’une certaine accélération de l’utilisation de la contraception jusqu’à 37% en 2030 et une stabilisation du nombre de naissances, la Côte d’Ivoire pourrait réaliser un gain de 65 milliards de FCFA sur les dépenses totales de santé (publiques et privées) pour les grossesses et la petite enfance. Ces gains passeraient à 155 milliards de FCFA en 2050.
De même, concernant l’éducation au niveau primaire, sur la base de l’hypothèse susmentionnée, on aurait, en 2035, des effectifs d’enfants à scolariser de 6-12 ans d’environ 20% inférieur à une situation de non maitrise des naissances. Cette proportion serait de 48% en 2050. Ce qui devrait laisser aussi au fil du temps des marges budgétaires de plus en plus importantes pour l’amélioration de la qualité de l’éducation primaire nécessaire pour de meilleurs résultats au secondaire et au supérieur. Ces marges budgétaires pourraient également être affectées à l’augmentation des capacités d’accueil au secondaire et au supérieur.
En matière d’emploi, les mêmes estimations donnent un nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail en Côte d’Ivoire d’environ 300 000 personnes à partir de 2017. Ils seront environ 500 000 en 2035, et ce n’est qu’à partir de cette date que le nombre d’arrivées sur le marché du travail pourrait se stabiliser si parallèlement le nombre de naissances entre 2018 et 2035 est maitrisé. Ce nombre de nouveaux arrivants pourrait alors rester stable autour de 500 000 jusqu’en de 2050, ce qui induit pour ce secteur, des défis budgétaires importants et une forte pression sociale.
Le cumul des marges budgétaires ainsi réalisées en matière d’éducation, de santé et de créations d’emplois chaque année pourrait donc être réinvesti pour l’amélioration de la qualité du capital humain. On peut donc dire qu’une bonne maitrise de la croissance démographique devrait permettre au pays d’avoir une croissance régulière du revenu par habitant pour atteindre la somme de 12 340 dollars. Ce qui classerait la Côte d’Ivoire à un horizon proche parmi les pays à revenu élevé.