Guiglo (Côte d’Ivoire) - "Ça me fait mal quand je vois ces cabosses de cacao! C’est moi qui ai planté ce cacao-là. C’est moi qui ai nettoyé ce champ pendant 11 ans. Le champ a réussi, le champ produit, et puis ils me l’ont arraché...", raconte Benjamin Kouakou, dans une plantation près de Guiglo, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.
Ce cultivateur baoulé - ethnie du centre du pays - assure que son propriétaire a profité du fait qu’il n’est pas originaire de la région pour lui reprendre deux hectares qu’il a défrichés et mis en valeur.
Considérés comme allogènes par les locaux, c’est-à-dire installés depuis relativement peu de temps sur ces terres, des milliers de cultivateurs venus du Burkina Faso mais aussi d’autres régions de Côte d’Ivoire travaillent
pourtant depuis des années des lopins loués ou achetés, souvent à l’instigation des autorités, qui veulent grossir la production.
Or aujourd’hui la rareté des terres et leur vente posent problème, dégénérant régulièrement en conflits, parfois mortels.
La nouvelle Constitution ivoirienne adoptée par référendum dimanche favorise les locaux, prévoyant que "seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent accéder à la propriété foncière rurale". En sont donc exclus les Burkinabè, qui sont pourtant plusieurs millions dans le pays.
"C’est complètement démagogique. C’est du clientélisme politique. Le dossier du foncier rural est une véritable bombe à retardement et un sujet très sensible", accuse un observateur.
Un homme politique renchérit sous couvert d’anonymat: "L’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme (de 1789) garantit la propriété. Ces droits imprescriptibles sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression".
- 4% de titres de propriété -
La majorité des terres en Côte d’Ivoire ont un propriétaire, établi selon des coutumes locales. Mais seules 4% des terres sont officiellement recensées par l’Etat, avec des titres de propriété.
En 2013, le gouvernement ivoirien avait annoncé l’immatriculation sur dix ans de 23 millions d’hectares pour régler la question agraire. Or le projet est resté lettre morte.
Le secteur est pourtant vital: l’agriculture représente 24% du produit intérieur brut et deux tiers de la population active en vivent directement ou indirectement.
Il assure 70% des recettes à l’exportation, le pays étant premier producteur mondial de cacao, de noix de cajou et de cola, premier producteur africain de bananes, deuxième pour l’huile de palme et troisième pour le coton
et le café. Une grande partie de cette production, notamment cacaoyère, repose
sur des petits producteurs.
"Il y a eu énormément de conflits, de litiges fonciers dans la région", souligne Gisèle Dutheuil, d’Audace Institut Afrique, un think-tank qui a lancé un programme pilote pour que les villageois réalisent leur propre registre foncier. "Clarifier la gouvernance locale est vraiment essentiel pour limiter les risques de conflits".
"Il est important de savoir à qui appartient la terre" car c’est un sujet de conflit, "surtout dans l’ouest, dans les zones forestières, à cause de la pression sur les ressources", analyse Sosthène Koffi, sociologue du programme.
Benjamin Kouakou, 48 ans, a tenté une conciliation avec le chef du village, puis avec la gendarmerie. En vain. Il préfère ne pas affronter son propriétaire, car il ne veut pas "perdre sa vie pour de l’argent", explique-t-il, en évaluant ses pertes à 5 millions de francs CFA (7.500 euros).
La contractualisation de l’utilisation des terres est difficile des deux côtés.
Parfois aussi, des "locataires" exploitent des terres qui ne leur ont pas été attribuées, explique Sosthène Koffi.
- Problèmes de cohabitation -
Quant à la vente, même signée avec des papiers, elle génère des conflits encore plus grands. Certains vendent des terres qui ne leur appartiennent pas ou auxquelles d’autres héritiers peuvent prétendre. Dans d’autres cas, des
acheteurs profitent parfois de l’ignorance ou de la pauvreté des villageois pour acquérir des terres à vil prix.
Conséquence: les contestations sont innombrables entre ceux qui veulent reprendre des terres vendues et ceux ne comprenant pas qu’on leur reprenne ce qui a été payé.
La cohabitation devient parfois difficile entre ethnies locales et "immigrés" burkinabè ou ivoiriens. "Les Guerés (majoritaires dans la région) sont des fainéants. Ils ne travaillent pas mais font travailler les autres.
Quand ils ont besoin d’argent, ils reviennent sur ce qui a été convenu", affirme sous couvert d’anonymat un cultivateur "allogène".
"Quand Dieu a créé chacun de nous, chacun a eu sa région, chacun a eu sa terre. Celui qui vient chez moi ne peut pas être propriétaire de ma terre, ce n’est pas possible", affirme quant à lui Otis Glazaosson, secrétaire général du chef de village de Goya II près de Guiglo.
"Nos parents sont tellement accueillants qu’ils ont accueilli beaucoup de personnes chez nous, ici. Mais ceux-là n’ont même pas dépensé 100 francs. C’est eux qui envoient palabre (créent des problèmes)", dit-il, avant de
lancer: "Je vous invite chez moi à manger, et vous prenez mes assiettes et mes cuillères ?"
La création d’un registre foncier, "en limitant les conflits, favorise la cohésion sociale essentielle dans un environnement pauvre et favorise aussi l’investissement", conclut Mme Dutheuil.
Et "avoir une sécurité et des droits bien établis permet (aussi de lutter) contre les problèmes de la faim et de la pauvreté".
pgf/ak
Ce cultivateur baoulé - ethnie du centre du pays - assure que son propriétaire a profité du fait qu’il n’est pas originaire de la région pour lui reprendre deux hectares qu’il a défrichés et mis en valeur.
Considérés comme allogènes par les locaux, c’est-à-dire installés depuis relativement peu de temps sur ces terres, des milliers de cultivateurs venus du Burkina Faso mais aussi d’autres régions de Côte d’Ivoire travaillent
pourtant depuis des années des lopins loués ou achetés, souvent à l’instigation des autorités, qui veulent grossir la production.
Or aujourd’hui la rareté des terres et leur vente posent problème, dégénérant régulièrement en conflits, parfois mortels.
La nouvelle Constitution ivoirienne adoptée par référendum dimanche favorise les locaux, prévoyant que "seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent accéder à la propriété foncière rurale". En sont donc exclus les Burkinabè, qui sont pourtant plusieurs millions dans le pays.
"C’est complètement démagogique. C’est du clientélisme politique. Le dossier du foncier rural est une véritable bombe à retardement et un sujet très sensible", accuse un observateur.
Un homme politique renchérit sous couvert d’anonymat: "L’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme (de 1789) garantit la propriété. Ces droits imprescriptibles sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression".
- 4% de titres de propriété -
La majorité des terres en Côte d’Ivoire ont un propriétaire, établi selon des coutumes locales. Mais seules 4% des terres sont officiellement recensées par l’Etat, avec des titres de propriété.
En 2013, le gouvernement ivoirien avait annoncé l’immatriculation sur dix ans de 23 millions d’hectares pour régler la question agraire. Or le projet est resté lettre morte.
Le secteur est pourtant vital: l’agriculture représente 24% du produit intérieur brut et deux tiers de la population active en vivent directement ou indirectement.
Il assure 70% des recettes à l’exportation, le pays étant premier producteur mondial de cacao, de noix de cajou et de cola, premier producteur africain de bananes, deuxième pour l’huile de palme et troisième pour le coton
et le café. Une grande partie de cette production, notamment cacaoyère, repose
sur des petits producteurs.
"Il y a eu énormément de conflits, de litiges fonciers dans la région", souligne Gisèle Dutheuil, d’Audace Institut Afrique, un think-tank qui a lancé un programme pilote pour que les villageois réalisent leur propre registre foncier. "Clarifier la gouvernance locale est vraiment essentiel pour limiter les risques de conflits".
"Il est important de savoir à qui appartient la terre" car c’est un sujet de conflit, "surtout dans l’ouest, dans les zones forestières, à cause de la pression sur les ressources", analyse Sosthène Koffi, sociologue du programme.
Benjamin Kouakou, 48 ans, a tenté une conciliation avec le chef du village, puis avec la gendarmerie. En vain. Il préfère ne pas affronter son propriétaire, car il ne veut pas "perdre sa vie pour de l’argent", explique-t-il, en évaluant ses pertes à 5 millions de francs CFA (7.500 euros).
La contractualisation de l’utilisation des terres est difficile des deux côtés.
Parfois aussi, des "locataires" exploitent des terres qui ne leur ont pas été attribuées, explique Sosthène Koffi.
- Problèmes de cohabitation -
Quant à la vente, même signée avec des papiers, elle génère des conflits encore plus grands. Certains vendent des terres qui ne leur appartiennent pas ou auxquelles d’autres héritiers peuvent prétendre. Dans d’autres cas, des
acheteurs profitent parfois de l’ignorance ou de la pauvreté des villageois pour acquérir des terres à vil prix.
Conséquence: les contestations sont innombrables entre ceux qui veulent reprendre des terres vendues et ceux ne comprenant pas qu’on leur reprenne ce qui a été payé.
La cohabitation devient parfois difficile entre ethnies locales et "immigrés" burkinabè ou ivoiriens. "Les Guerés (majoritaires dans la région) sont des fainéants. Ils ne travaillent pas mais font travailler les autres.
Quand ils ont besoin d’argent, ils reviennent sur ce qui a été convenu", affirme sous couvert d’anonymat un cultivateur "allogène".
"Quand Dieu a créé chacun de nous, chacun a eu sa région, chacun a eu sa terre. Celui qui vient chez moi ne peut pas être propriétaire de ma terre, ce n’est pas possible", affirme quant à lui Otis Glazaosson, secrétaire général du chef de village de Goya II près de Guiglo.
"Nos parents sont tellement accueillants qu’ils ont accueilli beaucoup de personnes chez nous, ici. Mais ceux-là n’ont même pas dépensé 100 francs. C’est eux qui envoient palabre (créent des problèmes)", dit-il, avant de
lancer: "Je vous invite chez moi à manger, et vous prenez mes assiettes et mes cuillères ?"
La création d’un registre foncier, "en limitant les conflits, favorise la cohésion sociale essentielle dans un environnement pauvre et favorise aussi l’investissement", conclut Mme Dutheuil.
Et "avoir une sécurité et des droits bien établis permet (aussi de lutter) contre les problèmes de la faim et de la pauvreté".
pgf/ak