Le patriotisme s'est officiellement invité dans le quotidien des Ivoiriens depuis le déclenchement de la crise politico-armée de septembre 2002. Retour sur un terme qui a fini par diviser le pays en deux : ceux qui aiment leur pays d'un côté et les ennemis de l'autre.
Le patriotisme (du latin pinder, parrain) est un sentiment d'appartenance à une région, qui renforce l'alliance selon des valeurs communes. Ce sentiment pousse donc à défendre la patrie, la terre, lorsque celle-ci est attaquée.
En 2002, une tentative de coup d'Etat éclate en Côte d'Ivoire alors que le président Laurent Gbagbo séjourne en Italie. Très vite, le discours officiel parle d'une attaque venue de l'étranger, des « Etats voyous ». Le pouvoir en place tente, en vain, d'amener la France à activer les accords de défense, en soutenant que la Côte d'Ivoire avait été attaquée. Ceux qui se font appeler les « Jeunes patriotes » montrent la voie. Le 25 septembre, ils manifestent devant l'ambassade de France pour exiger que leur soit livré Alassane Dramane Ouattara.
Les Ivoiriens sont appelés à défendre leur patrie en danger.
Le président du Rassemblement des républicains (Rdr) est accusé d'être l'un des instigateurs du coup. Ensuite, le 22 octobre, ils mettent le cap sur le 43ème Bima, à Port-Bouët, toujours pour le même motif. Laurent Gbagbo soutiendra lui-même que le cas Ouattara est devenu une « pomme de discorde ».
Au fil de l'évolution de la crise, le mouvement patriotique s'en ira en s'amplifiant. Chaque fois que le pouvoir en avait besoin, les « Jeunes patriotes » ont été là. Le 25 janvier 2003, Seydou E. Diarra est nommé Premier ministre à la suite des Accords de Linas Marcoussis (banlieue parisienne) qui sont peu favorables au camp présidentiel. Surtout, les ministères de l'Intérieur et de la Défense étaient attribués au Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (Mpci), principale branche de la rébellion. Le patriotisme à l'ivoirienne déferle alors dans les rues. Les intérêts et symboles français sont ciblés : Centre culturel français, écoles, agence Air France, magasins, entreprises,…La défense de la patrie équivaut alors à attaquer la France et tout ce qui est français. « A chaque Ivoirien son Français ! », scandent les manifestants. Dans une adresse à la nation le 7 février, Laurent Gbagbo s'excuse d'avoir nommé Seydou Diarra conformément à l'accord.
Par la suite, les patriotes seront toujours là au cœur de la crise.
« Je comprends votre colère, il est insoutenable de voir les rebelles apparaître à la télévision. Si je n'avais pas été président de la République, j'aurais été dans la rue avec vous », félicite-t-il ses « jeunes patriotes ». Revigorés, par ce soutien public, ceux-ci s'opposeront au retour de Seydou Diarra qui avait patienté 10 jours dans un hôtel à Dakar. La participation de forces patriotiques sera avancée dans les sanglants évènements de mars 2004.
Une véritable galaxie patriotique s'est formée au fil du temps avec des visages connus : Charles Blé Goudé, dit « le général de la rue », leader de l'Alliance de la jeunesse pour le sursaut national (Ajsn), Eugène Djué, de l'Union pour la libération totale de la Côte d'Ivoire (Upltci), Richard Dakoury, de la « Sorbonne », Antoine Ahoua des Forces nationales pour la sécurité de la Côte d'Ivoire (Fonaci), Géneviève Bro Grébé de l'Organisation des femmes patriotes (Ofp), Niamien Messou du Synares, Mahan Gahé Basile de la centrale syndicale Dignité etc. Pour montrer à la communauté internationale que toute la Côte d'Ivoire défendait les positions patriotiques, il fallait des signes extérieurs de mobilisation nationale. Pour les grands rassemblements quasi-hebdomadaires, il était de bon ton de mettre une certaine pression sur le voisin de quartier ou le collègue de travail. Les tricots aux couleurs nationales, les petits drapeaux, les pins, les rubans, tout était bon pour montrer son patriotisme. Chaque automobiliste était obligé de toujours avoir son petit drapeau pour ne pas subir le courroux des « jeunes patriotes » qui n'hésitaient pas à casser des véhicules pour défaut de patriotisme. La Côte d'Ivoire était ainsi divisée en deux : ceux qui étaient supposés défendre leur pays et ceux qui étaient alliés à l'étranger pour l'attaquer.
Manifestez votre patriotisme !
Les opposants étaient très souvent classés dans le second camp. Bien sûr, le patriotisme à l'ivoirienne a parfois eu des relents de chauvinisme. Les ressortissants des pays de la sous-région en ont payé le prix fort. Sur les routes, dans chaque village et ville du Sud, « les patriotes » ont installé des barrages qui étaient autant de points de racket et de tracasseries, surtout sur les étrangers. Des dérives dont l'on n'a pas hésité à faire l'apologie à travers les média nationaux. Particulièrement, sur la télévision nationale, première chaîne. «L'ode à la patrie» y était chantée à longueur de journée et à chaque 20h, «les patriotes» se voyaient galvanisés par le «haut les cœurs» lancé par le présentateur du journal. Qui ne se souvient pas de l'image de cet innocent petit garçon qui appelait chaque jour dans un spot, le chef de l'Etat, Laurent Gbagbo à clôturer la Côte d'Ivoire pour que les «assaillants» n'y rentrent plus jamais. Tout cela, pour faire croire que la Côte d'Ivoire est attaquée et qu'il faut faire front contre l'ennemi venu de l'extérieur.
Que retenir aujourd'hui de cette épopée ? Car, très vite, le recours au patriotisme a montré ses limites intellectuelles. Dès que les premiers visages de la rébellion sont apparus, l'on s'est rendu compte qu'ils étaient bel et bien des Ivoiriens. Pas d'attaque étrangère, donc pas de défense de la patrie. Cela n'a toutefois pas empêché ce patriotisme bien particulier de prospérer. Même si au fur et à mesure, il s'est révélé n'être que le cri de ralliement d'une frange de la population qui défendait ses intérêts politiques fortement menacés.
Kesy B. Jacob
Le patriotisme (du latin pinder, parrain) est un sentiment d'appartenance à une région, qui renforce l'alliance selon des valeurs communes. Ce sentiment pousse donc à défendre la patrie, la terre, lorsque celle-ci est attaquée.
En 2002, une tentative de coup d'Etat éclate en Côte d'Ivoire alors que le président Laurent Gbagbo séjourne en Italie. Très vite, le discours officiel parle d'une attaque venue de l'étranger, des « Etats voyous ». Le pouvoir en place tente, en vain, d'amener la France à activer les accords de défense, en soutenant que la Côte d'Ivoire avait été attaquée. Ceux qui se font appeler les « Jeunes patriotes » montrent la voie. Le 25 septembre, ils manifestent devant l'ambassade de France pour exiger que leur soit livré Alassane Dramane Ouattara.
Les Ivoiriens sont appelés à défendre leur patrie en danger.
Le président du Rassemblement des républicains (Rdr) est accusé d'être l'un des instigateurs du coup. Ensuite, le 22 octobre, ils mettent le cap sur le 43ème Bima, à Port-Bouët, toujours pour le même motif. Laurent Gbagbo soutiendra lui-même que le cas Ouattara est devenu une « pomme de discorde ».
Au fil de l'évolution de la crise, le mouvement patriotique s'en ira en s'amplifiant. Chaque fois que le pouvoir en avait besoin, les « Jeunes patriotes » ont été là. Le 25 janvier 2003, Seydou E. Diarra est nommé Premier ministre à la suite des Accords de Linas Marcoussis (banlieue parisienne) qui sont peu favorables au camp présidentiel. Surtout, les ministères de l'Intérieur et de la Défense étaient attribués au Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (Mpci), principale branche de la rébellion. Le patriotisme à l'ivoirienne déferle alors dans les rues. Les intérêts et symboles français sont ciblés : Centre culturel français, écoles, agence Air France, magasins, entreprises,…La défense de la patrie équivaut alors à attaquer la France et tout ce qui est français. « A chaque Ivoirien son Français ! », scandent les manifestants. Dans une adresse à la nation le 7 février, Laurent Gbagbo s'excuse d'avoir nommé Seydou Diarra conformément à l'accord.
Par la suite, les patriotes seront toujours là au cœur de la crise.
« Je comprends votre colère, il est insoutenable de voir les rebelles apparaître à la télévision. Si je n'avais pas été président de la République, j'aurais été dans la rue avec vous », félicite-t-il ses « jeunes patriotes ». Revigorés, par ce soutien public, ceux-ci s'opposeront au retour de Seydou Diarra qui avait patienté 10 jours dans un hôtel à Dakar. La participation de forces patriotiques sera avancée dans les sanglants évènements de mars 2004.
Une véritable galaxie patriotique s'est formée au fil du temps avec des visages connus : Charles Blé Goudé, dit « le général de la rue », leader de l'Alliance de la jeunesse pour le sursaut national (Ajsn), Eugène Djué, de l'Union pour la libération totale de la Côte d'Ivoire (Upltci), Richard Dakoury, de la « Sorbonne », Antoine Ahoua des Forces nationales pour la sécurité de la Côte d'Ivoire (Fonaci), Géneviève Bro Grébé de l'Organisation des femmes patriotes (Ofp), Niamien Messou du Synares, Mahan Gahé Basile de la centrale syndicale Dignité etc. Pour montrer à la communauté internationale que toute la Côte d'Ivoire défendait les positions patriotiques, il fallait des signes extérieurs de mobilisation nationale. Pour les grands rassemblements quasi-hebdomadaires, il était de bon ton de mettre une certaine pression sur le voisin de quartier ou le collègue de travail. Les tricots aux couleurs nationales, les petits drapeaux, les pins, les rubans, tout était bon pour montrer son patriotisme. Chaque automobiliste était obligé de toujours avoir son petit drapeau pour ne pas subir le courroux des « jeunes patriotes » qui n'hésitaient pas à casser des véhicules pour défaut de patriotisme. La Côte d'Ivoire était ainsi divisée en deux : ceux qui étaient supposés défendre leur pays et ceux qui étaient alliés à l'étranger pour l'attaquer.
Manifestez votre patriotisme !
Les opposants étaient très souvent classés dans le second camp. Bien sûr, le patriotisme à l'ivoirienne a parfois eu des relents de chauvinisme. Les ressortissants des pays de la sous-région en ont payé le prix fort. Sur les routes, dans chaque village et ville du Sud, « les patriotes » ont installé des barrages qui étaient autant de points de racket et de tracasseries, surtout sur les étrangers. Des dérives dont l'on n'a pas hésité à faire l'apologie à travers les média nationaux. Particulièrement, sur la télévision nationale, première chaîne. «L'ode à la patrie» y était chantée à longueur de journée et à chaque 20h, «les patriotes» se voyaient galvanisés par le «haut les cœurs» lancé par le présentateur du journal. Qui ne se souvient pas de l'image de cet innocent petit garçon qui appelait chaque jour dans un spot, le chef de l'Etat, Laurent Gbagbo à clôturer la Côte d'Ivoire pour que les «assaillants» n'y rentrent plus jamais. Tout cela, pour faire croire que la Côte d'Ivoire est attaquée et qu'il faut faire front contre l'ennemi venu de l'extérieur.
Que retenir aujourd'hui de cette épopée ? Car, très vite, le recours au patriotisme a montré ses limites intellectuelles. Dès que les premiers visages de la rébellion sont apparus, l'on s'est rendu compte qu'ils étaient bel et bien des Ivoiriens. Pas d'attaque étrangère, donc pas de défense de la patrie. Cela n'a toutefois pas empêché ce patriotisme bien particulier de prospérer. Même si au fur et à mesure, il s'est révélé n'être que le cri de ralliement d'une frange de la population qui défendait ses intérêts politiques fortement menacés.
Kesy B. Jacob